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wald

series, oil on canvas, ca 120 x 100 cm, 2011

exhibit: un weekend à la campagne, fonderie, 2013

                                                                                                          ENTRER DANS LA FORÊT! ENTRER DANS LE TABLEAU! RETOURNER À L’ESPRIT D’ENFANCE SANS PERDRE L’IMAGINAIRE RATIONNEL DE L’ADULTE ! ET FINALEMENT ERRER NAÏVEMENT AUX FRONTIÈRES D’UNE CULTURE RAFFINÉE. C’EST À CELA QUE NOUS INVITE NINA SCHIPOFF, QUI BRAVANT L‘ESPRIT DU TEMPS, PRÉSENTE, SES BELLES TOILES D’ÉNIGMATIQUES FORÊTS SUR UN AUSTÈRE MUR BORDEAUX SOMBRE. DES FORÊTS, L’HUILE ET TEMPERA PLUTÔT QUE SES PHOTOGRAPHIES DE REPAS, SES NATURES MORTES OU SES REPRÉSENTATIONS DE CHAIRS ET DES PEAUX ANATOMIQUES. OR LA FORÊT NE SE LAISSE PAS PEINDRE FACILEMENT ET N’A PAS TOUJOURS LA SYMPATHIE DES CONTEMPORAINS. TOUT A ÉTÉ DIT SUR CE THÈME : LA FORÊT SERAIT, ET C’EST PEUT –ÊTRE VRAI, TROP CHARGÉE DE SENS ET DE SENTIMENTS, ELLE SERAIT TROP  ROMANTIQUE, TROP LIÉE À LA CULTURE ALLEMANDE, TROP FACILE À PEINDRE ! TROP ÉVIDENTE ENFIN ! ET QUANT BIEN MÊME ! POURQUOI NE PAS LA PEINDRE AVEC PASSION ET Y PRENDRE PLAISIR ? C’EST CE QUE FAIT NINA D’UNE MANIÈRE TRÈS PERSONNELLE DANS UNE RECHERCHE PICTURALE SPÉCIFIQUE ET SELON DES MODALITÉS QUI SONT D’AUJOURD’HUI.

 

 

Depuis quelques années les querelles portant sur le réalisme ou sur l’horreur de l’anecdote se font nettement moins vives et l’on peut aborder sereinement ces vues forestières. Cela d’autant plus que ce qui s’impose d’emblée dans ces œuvres c’est une succession de déplacements qui dégage la peinture des pièges naïfs du pittoresque; il ne s’agit pas de sentiment, mais d’émotion ; il ne s’agit pas de romantisme mais de maîtrise des formes et de rapports entre les détails et la totalité. Le but ultime de l’artiste n’est pas de représenter mais de figurer entre réalité, imaginaire et raison. Il s’agit donc d’abord de peinture, d’une peinture dont la genèse est certes enracinée dans l’expérience de la petite fille de Westphalie, dont le père avait toujours gardé la nostalgie des grandes forêts de Silésie où il était né. La mémoire profonde donc, d’un vécu que l’artiste transfigure. Cette peinture sans être explicitement lyrique juxtapose des éléments de mémoire, sans pour autant se laisser submerger par eux. Des éléments qui se superposent à d’autres, plus universels. D’ailleurs, ces forêts ne sont pas réellement silésiennes, mais  tout simplement genevoises. Figure de l’inattendu dans le plus proche, qui se profile sur la valeur bien contemporaine du déplacement des images, objets et concepts et leur recyclage à travers le réseau des médias. Mais la forêt est archétypale, je dirais presque trop, elle  paraît trop évidemment profonde, obscure, unificatrice. Chez Nina Schipoff ce n’est pas l’archétype qui s’impose mais bien ses connotations dont l’efficacité peut être très contemporaine. De Dante à Heidegger la forêt, c’est le lieu des détours, des encombrements obscures dont la clarification par l’errance, forme une des matrices du temps présent. Marcher dans la forêt c’est traverser l’espace physique et celui de l’esprit, dans la crainte et le tremblement. Chaque tronc peut cacher une menace, dans ces chemins incertains semés d’imprévus d’où surgissent d’antiques légendes. Elle cache des dangers, mais aussi l’exercice du mal. La forêt a une profondeur qui dissimule. Le XXème siècle  l‘a bien montré : protectrice et mémorielle, elle couvre le bien comme le mal. L’ingénieux petit Poucet contemporain et les audacieux Chaperons rouges abondent.

Bref la forêt est l’expérience de l’incertain concrètement, mais en nous également. Il suffit de constater l’usage que la culture a fait de la forêt pour désigner la marche de l’esprit et ses obstacles. Pensons aux adjectifs : touffu, inextricable. Sans parler, bien sûr, de la forêt non plus menaçante mais celle qui est, au contraire, imprudemment menacée par le développement industriel, et qui reste pour nous comme pour Nicolas Ledoux toujours vitale en son recyclage  et sa nécessaire reconstitution,.

Ce sont des photographies personnelles qui guident Nina Schipoff dans ses peintures. Elle commence par dessiner un canevas élémentaire, esquissé à grands traits et qui pourrait se suffire à lui même ; une œuvre quasiment aboutie, mais  qui n’est pour l’artiste qu’un début ! Car s’initie alors, une phase de remontée des formes dans l’abondance, qu’on aurait tort de croire uniquement réaliste. C’est ce processus qui puise dans l’imaginaire, pour constituer la peinture, comme une lente émergence de ce qui serait caché dans la forêt intérieure. Il serait trop facile de sourire de l’opiniâtreté de cette courageuse allemande,  et d’y percevoir uniquement ce qui n’est que la caricature de son effort. On  perdrait alors la perception de la nécessité profondément picturale que révèlent les œuvres vraiment terminées. Si parfois l’artiste semble céder à la surcharge pittoresque, c’est toujours la rigueur du construit qui doit nous retenir. Il ne représente pas, mais présente l’état d’un imaginaire, qui  se reconnait dans un chaos de formes et de tonalités, sans jamais oblitérer, au profit d’un modèle tout fait, le jaillissement de véritables trouvailles de peinture. Fonds, troncs et feuillages résultent d’une approche impliquant les diverses dilutions des pigments ainsi que d’un usage très varié du pinceau

Cette tendance à faire transiter un sujet saisit avec réalisme par la photographie, afin d’en reprendre l’essentiel en l’accentuant par la charge de peinture est original. Cependant cette première transformation s’accompagne d’une forte réflexion purement picturale par adjonction de couches superposées. Chacun peut prétendre contempler les œuvres terminées sans passer par l’analyse de leur genèse, il semble cependant qu’une telle approche en amont puisse être utile. Elle a d’autant plus d’importance que la complexité et la surcharge d’éléments mêlés dans les œuvres terminées, révèle un désir de se confronter à la quasi irréductibilité de ces enchevêtrements couleur de terreau végétal, sur des ciels lourds de matières, qui pourraient même devenir opaques, si le talent de Nina Schipoff n’aboutissait pas paradoxalement à construire un réseau d’ouvertures, de perspectives, et de sourdes lumières qui aèrent cette vision  frontale.

La contemplation des dernières œuvres peintes pour cette exposition, semble bien confirmer la nature imaginaire autant que l’itinéraire technique de cet art étrange et sans trivialité. Si les préjugés conformistes de notre temps  répètent à l’infini qu’il es trivial que de peindre la forêt, il n’en demeure pas moins qu’aboutir à une abstraction par la multiplications de forme et de tonalité et loin d’être banal et devrait retenir l’attention sur cet effort. Aux frontières du tragique, cette façon d’aborder la nature par sa double  identité d’ordre et de désordre nous rappelle sans s’y soumettre aveuglément, le rêve unitaire, toujours vivant, de la Naturphilosophie.

Plus fluides, plus transparentes, plus proches aussi des croquis de départ, certaines peintures montre à l’amateur les strates précoces du travail. Dominées par des vides d’un ailleurs lumineux que parcourent des lignes élégamment insistantes, elles révèlent les chemins traversés par les œuvres du début en marche vers ce qu’il faut bien appeler une plénitude obscure. C’est précisément l’harmonie et la cohérence de formes et des concepts engagés dans des correspondances que seule une observation opiniâtre peut révéler. Ainsi la force frontale des enchevêtrements d’arbres morts, couleur de terre, comme montés de l’abîme d’une obscure fermentation se constitue  organiquement dans la  souplesse de transparences et de passages toujours impraticables.

L’étonnement ne vient pas, dans cette peinture, de l’innovation, du jeu de mot cérébral, ni de la critique sociopolitique, mais bien plutôt de son obstination à vouloir saisir la forêt comme élément archétypal dans sa double dimension naturelle  et imaginaire, afin d’en restituer l’émouvante réalité dans un temps où elle est menacée. La tension tragique entre la fragilité physique de la forêt en perpétuel et vital recyclage et sa persistante intensité évocatrice habite ces peintures qui partent du réalisme pour aboutir à une l’intense méditation du geste pictural.

Ultime conseil : donnez-vous le temps de vous  absorber dans l’étrange lumière obscure de ces sombres flamboiements végétaux…

 

 

Marino Buscaglia  

Genève, 17 Juin 2011

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